jeudi 31 août 2017

J'ai essayé ! On peut…





Merci Xavier, merci Patrick de continuer à lire ce blog alors que je n'y présente plus de beaux livres à la convoitise de mes lecteurs mais que j'y étale de façon parfois impudique mes sentiments face à une maladie dont le nom générique précise qu'elle est souvent longue et douloureuse… 

J'avais un blog qui avait une honorable audience, j'avais des lecteurs qui appréciaient mes approximations littéraires, qui s'amusaient de ma fausse désinvolture et de mon humour perfectible. J'avais réussi, à force de ténacité, d'honnêteté et de fiabilité à me faire reconnaitre de mes confrères libraires d'ouvrages anciens et de mes clients. J'avais même réussi à vivre de cet amour un peu irraisonné des beaux livres.  C'est cependant sans penser à en faire une chronique régulière que j'ai commencé à y publier mon apprentissage brutal de la souffrance physique et intellectuelle qui accompagne le cancer ! 

Au départ, rien qu'un petit mot d'excuse pour un congé que je croyais momentané, puis quelques réflexions plus ou moins pertinentes sur la bataille à livrer, sur mes victoires contre la maladie, sur mes défaites aussi… le plus difficile fut l'acceptation à plus ou moins long terme de la fin du combat. Le cancer n'y est pas toujours gagnant, je vous rassure ! Beaucoup de récits de personnes ayant surmonté avec succès cette épreuve sont publiés chaque année. Pouvais-je apporter une nouvelle pierre, cette fois-ci virtuelle, à l'édifice éditorial ? J'ai essayé ! On peut…

Il faut dire que j'ai rapidement acquis de la compétence dans ce domaine et en particulier dans le glioblastome cérébral de haut grade dont je me suis fait un involontaire spécialiste… De la même façon que j'ai essayé de partager ma passion pour l'écriture - le livre ancien en étant un support incontournable - j'ai essayé de présenter les arcanes de cette foutue maladie à ceux qui pourraient y être, un jour, confrontés de près ou de loin (le plus loin possible étant préférable).

Pourquoi vous avoir ouvert, à travers ce blog bibliophile, mon cœur et mon dossier médical ? Surement pas par orgueil ou vantardise, on l'imagine ; il y a déjà un Tartarin hâbleur comme pas deux à Tarascon, c'est assez !  Pas pour me façonner une notoriété littéraire posthume, non plus ; j'avais une carte vitale, je voulais qu'elle le reste ! Je ne l'analyse que maintenant, en fait… Cela m'a simplement semblé naturel de vous écrire, de la même façon qu'on se confie à ses amis quand on a de la peine. D'abord parce qu'à plusieurs, on est plus fort face à la peur (et la mienne fut, au départ, d'une belle intensité sur l'échelle de Richter quand j'y pense), ensuite parce que je n'ai jamais cessé d'être un perpétuel "passeur" de savoir. Je l'ai fait quand j'étais vétérinaire en expliquant à chaque consultation un diagnostic établi par la clinique, je l'ai continué comme libraire en exposant dans chaque billet du blog mes arguments pour établir la valeur des ouvrages que je présentais et je l'ai continué, encore cette fois-ci, en traduisant avec des mots simples, les tenants et les aboutissants de cette affection qui touche, comme cela est mon cas, autant l'âme que le corps… Je pense que j'ai bien fait de prolonger ce lien d'amitié au-delà de la simple érudition littéraire qui servait de base à mes billets journaliers.

J'espère que mon expérience et la méthode pas toujours très orthodoxe que j'ai utilisée pour présenter mon "univers cancéral", ma philosophie personnelle et ma foi vacillante aideront, un jour, un éventuel lecteur à surmonter les moments difficiles qui accompagnent la guérison de cette affection (et de son traitement parfois dévastateur). Il y a, même dans la maladie, des moments heureux et l'on goûte, à ce moment là, de façon plus intense la saveur de la vie. La vie prend une autre valeur, aussi…

Pierre

vendredi 28 juillet 2017

Billet du jour...

Nadia - Juillet 2017
Chers amis,

Voici un résumé de ce qui m'est arrivé depuis trois mois. Une façon aussi de vous remercier pour les messages de sympathie que j’ai reçus depuis le début de cette année et pour l'attention renouvelée que vous me portez.

Pour aller à l'essentiel, j'ai été hospitalisé en soins palliatifs 3 semaines, début mai, pour une mauvaise récidive. Alors que j'aurais pu continuer à plonger plus profondément dans l'abattement, l'équipe médicale m'a aidé à faire front. J'ai organisé mon retour pour une hospitalisation à domicile mais j'ai aussi pris mon téléphone (aide à l'alimentation, kiné, infirmière, lit médicalisé, etc...) pour qu'elle se fasse dans de bonnes conditions. Je suis bien évidemment "un peu" (c'est un doux euphémisme) fatigué par les nouveaux cocktails chimiothérapiques que je fais maintenant en ambulatoire tous les 15 jours mais je suis cependant beaucoup plus détendu.

J'ai maintenant fait la part de ce qu'étaient les symptômes cérébraux dus à la présence de la tumeur de ce qu’étaient les conséquences secondaires de l'environnement (toujours un peu hostile quand on est handicapé) sur mon comportement. Beaucoup de désagréments ont disparu suite à cette prise charge hospitalière et j'ai donc pu arrêter rapidement tous les médicaments psychotropes même si je n'en abusais pas ! Avec la communauté médicale nous avons, d'un commun accord, séparé nos missions : eux s'occupent de mon corps, moi de mon âme et de mon libre arbitre tant qu'il m'en reste - à moins que je n'en ai jamais eu s'il faut en croire Spinoza… Je marche peu, mal, et maintenant avec une orthèse qui me tient le pied ainsi que le mollet mais je marche encore un peu ! Je me suis acheté un siège releveur et un fauteuil roulant pour les trajets à l'extérieur. Point positif : mon épouse ne passe plus le clair de son temps à me chercher quand nous déambulons ensembles dans la rue. Point négatif : j'entre souvent dans des merceries alors que rien ne m'y attire... ;-))

Je ne baisse pas les bras ! En tout cas, pas tout le temps... et j'ai retrouvé le sourire, le rire ainsi que le plaisir des livres. Des amis viennent me voir qui me trouvent beaucoup mieux. Avec un amateur de littérature, nous trions tranquillement (on a le temps) tous les livres de ma "bibliothèque de jardin" qui ont été achetés en commun par trois amis et mécènes désintéressés. Ils savaient que la résolution de ce problème (ne pas laisser ces livres orphelins) me tenait à cœur... Tous ces ouvrages sont aujourd'hui présentés et entreposés proprement en caisses gerbables dans une chapelle restaurée. Ils ont été estimés à des prix très modérés, le principal étant qu'ils retrouvent des étagères ou des lieux accueillants pour continuer à enchanter leurs propriétaires ! J'en ai aussi cédé un grand nombre aux archives de la ville, j'en ai proposé à une congrégation de chartreux et, surtout, j'en ai offert à des amis qui leur redonneront une vie en les chérissant. Certaines jolies reliures "au mètre" comblent également leurs propriétaires d'outre-Atlantique...

Cependant, je réalise que ma vie n'est pas, quand même, un long fleuve tranquille... Hier, un peu à cause de la fatigue post-chimio (il y a des potions magiques qui décuplent la force, d'autres qui décuplent la faiblesse), un peu à cause de mon amyotrophie musculaire, je me suis lourdement "ramassé" sur le carrelage quand mon pied s'est dérobé sous moi ! Résultat : une très forte douleur en regard du fémur ! Apparemment rien de cassé ni de luxé mais je suis aujourd'hui collé sur ma chaise roulante avec de grandes difficultés pour affronter les petits gestes de tous les jours. J'en profite donc pour vous écrire cette petite bafouille !.. Je programme 4 à 5 jours minimum pour que la douleur disparaisse et pour me déplacer maladroitement avec ma canne tripode. Ce qui m’embête le plus c'est que je ne vais pas pouvoir aller voir "Aïda" à Orange comme il était prévu ce week-end.

Voilà… Ce qui me permet d'affronter aujourd'hui l'avenir en paix, c'est vous! C'est la bienveillante sollicitude de mes amis, l'amour de mes proches, un peu d’Épictète et de Sénèque, un peu d'humour, un peu de Foi, le mariage de mon fils ainé dans 3 semaines... et l'espoir que cela continue !

Très amicalement. Pierre

lundi 16 janvier 2017

La flamme dans les yeux reviendra : ce n'est qu'une question de patience…




Une pensée amicale pour tous les anciens lecteurs du blog et pour tous les clients de la librairie qui m'ont amené tant de joies par le passé. Ce petit message vous est adressé aujourd'hui pour vous dire que je continue à me battre pour retrouver un équilibre malmené par cette foutue tumeur cérébrale (appelons un chat, un chat) qui me ronge et par tous les moyens mis à disposition par la science pour la juguler. Une de mes plus grande tristesse  - il y en a d'autres malheureusement - est de ne plus pouvoir profiter des livres qui me restent, ni physiquement  en raison de ma maladresse, ni mentalement car j'ai perdu, pour l'heure, la flamme qui brûle dans le cœur des amoureux des livres. 

Il est difficile d'expliquer les raisons qui font que l'on perd cette passion qui nous a animé toute notre vie. Je comprends mieux maintenant, pourquoi, parfois brutalement, la lumière ne brillait plus au fond des yeux de mes anciens clients. Ce n'est pas pour rien que l'on appelait autrefois ces affections cérébrales, des "attaques" ! Aujourd'hui, on est plus précis sur l'étiologie de ces maladies (vasculaires, tumorales, dégénératives, etc) mais le résultat est le même. Il y a des attaques - petites ou grandes, fulgurantes ou larvées - où l'on sort vaincu du combat, où le renoncement s'installe. 

Ce détachement, j'ai essayé de l'acquérir volontairement au début de ma maladie par la lecture d'ouvrages très "tendances" écrits par des philosophes, des psychiatres et d'adeptes de la méditation qui m'ont aidé à surmonter les premières évidences auxquels j'ai dû faire face. Il m'a fallu fermer ma boutique en sachant que la porte serait probablement et définitivement close. J'ai mis mes livres dans des caisses, j'en ai ramené sur mes étagères, j'en ai donné, j'en ai jeté… j'ai pensé que cette première phase n'était qu'une parenthèse dans le cours de ma vie et que la passion pouvait encore renaître comme l'étincelle briller de nouveau dans mes yeux. 

Quand ma main gauche s'est minéralisée au bout de mon bras pendant, quand mes muscles se sont crispés, quand la souffrance s'est immiscée dans ma vie quotidienne, quand une paresse intellectuelle s'est progressivement installée dans mon pauvre cerveau  bouleversé, alors… alors, je n'ai plus eu à faire d'efforts pour me détacher de mes livres… c'est donc sans remord - et non pas sans regret - que j'ai confié ceux auxquels je tenais le plus à des confrères expérimentés. J'avais trop écrit que je n'étais qu'un passeur de livres pour les rendre orphelins ou pis encore de les abandonner à un mauvais sort.

Aujourd'hui, je termine une série de chimiothérapies qui ont pompé toute mon énergie et m'ont rendu encore plus vulnérable. Alors que j'ai rapidement intégré le constat de ma perte d'autonomie, j'ai encore du mal à admettre mon infirmité. On ne fait pas facilement le deuil de sa bonne santé ! Pour survivre, Je me suis raccroché à ce que j'ai pu. J'ai souvent coulé. Parfois, quand je croyais toucher le fond, il s'esquivait sous mes pieds. Mais je suis encore là…

Demain, j'espère,  je reprendrai espoir, j'arriverai à chasser de mon esprit les tristes pensées qui me minent  et je retrouverai l'apaisement : je ne serai plus prisonnier de la maladie. La meilleure façon de ne plus y être n'est-elle pas de le faire de son vivant ? Je vous souhaite mes meilleurs vœux pour cette année 2017 qui commence et sur laquelle je fonde beaucoup d'espoir pour guérir. La flamme dans les yeux reviendra : ce n'est qu'une question de patience. Très amicalement. Pierre Brillard