lundi 18 janvier 2016

Le destin tragique de Mario Uzielli, bibliophile et ami des artistes dégénérés...


Mario Uzielli est un bibliophile né le 26 aout 1888 à Francfort (sur le Main) et décédé le 16 novembre 1973 en Suisse près de Bâle. Son père, Lazarro Uzielli était pianiste et sa mère, Julia, une cantatrice allemande renommée. Il eu deux enfants Claudio et Gabriele. Il fit des études de joaillerie mais fut obligé d’arrêter cette carrière après avoir perdu un œil pendant la grande guerre. Il se tourna alors vers le métier de marchand d’art et d’antiquaire et créa avec un associé une galerie à Francfort en achetant le pas de porte et le fond d’une librairie ancienne de la ville.


Grâce à lui, dès 1918, on put voir à Francfort, pour la première fois, ce qui allait ensuite appartenir au patrimoine pictural classique du 20eme siècle [Chagall, Kandisky, Max Beckmann ] mais aussi des artistes moins cotés de l'époque, dont on pouvait emporter les tableaux ou des gravures pour des prix dérisoires [Braque, Gris, Derain, Vlaminck ou Utrillo]…


Ils tinrent boutique jusqu’en 1925, date à laquelle il travailla sous son propre nom jusqu’à la crise économique de 1930. Il renonça alors aux livres contemporains pour se consacrer essentiellement à la bibliophilie et à l’art. Il exposait conjointement en Allemagne et à l’étranger et s’était fait une réputation de conférencier. Sa passion pour la bibliophilie l’entraina à créer sa propre maison d’édition pour laquelle il publia des publications rares et luxueuses de Stendhal, Silesius, Goethe, Binding, etc. C’est, à cette époque, lui qui fournissait livres anciens et tableaux modernes à tous les riches collectionneurs de la ville.


Il continua sous le régime nazi jusqu’en 1935 mais son statut de demi-juif marié à une juive l’obligea à émigrer dès 1936 vers la Suisse avec sa femme et sa fille, n’emmenant avec lui qu’une infime part des trésors que comptait sa boutique. Il réouvrit à Liesta, près de Bâle, un magasin où il finit par se spécialiser dans les partitions originales. Son fils émigrera, quant à lui, au Royaume uni.


Il laissa sa galerie à son employé, Wilhelm Henrich, qui prit possession de l’important lot d’œuvres d’artistes « degenérés » (Chagall, Kirchner, Paul Klee, etc) qui pendaient aux cimaises de la boutique. Les bombardements alliés sur Francfort (ville complètement rasée) en 1945 firent disparaitre tout ce trésor volé! Mario Uzielli  dû attendre 1954 pour que l’état allemand l’indemnise pour la spoliation de son fond de marchand d’art mais, lui, contrairement à beaucoup de juifs allemand était encore en vie…


Les quelques ouvrages ayant appartenu à Mario Uzielli, et qui sont aujourd’hui proposés en boutique auraient mérité une publication sous forme de catalogue papier, je l’admets. Ils seront, en fait, proposés sous forme de billets individuels et regroupés dans un catalogue virtuel. Question de temps et d’argent ? C’est cela même… Comme moi, Mario Uzielli a tenu ces livres dans ses mains, il les a examiné, les a soupesé, les a apprécié. Il a surement essayé d’en faire une estimation juste lors de leur achat. Il vous aurait sans doute dit que ces livres ne nous appartiennent pas, de toute façon : nous n’en sommes que d’éphémères possesseurs. Par contre, il aurait aimé que l’histoire de ses livres soit connue : ce qui sera fait. Pierre

4 commentaires:

Hugues a dit…

Très bel article, merci Pierre.
Dans le même ordre d'idées, si je peux dire cela ainsi, j'avais écrit cela:
http://bibliophilie.blogspot.fr/2012/12/sichergestellt-durch-einsatzstab.html
Amitiés,
Hugues

Pierre a dit…

Un constat amer sur la nature humaine, et sur les allemands de l'époque qui n'ont pas vu l'horreur s'installer à leur porte. Sommes-nous toujours aussi aveugle, aujourd'hui ?

Les livres que je vais présenter ont beaucoup barrulé avant d'être sur mes étagères mais leur chemin n'est pas terminé. Pierre

Nadia a dit…

Sympathique cette histoire de dame échouée dans votre librairie...

Anonyme a dit…

Ces livres ont dérivé jusqu'au bon port.
Merci d'avoir ranimé cette ombre légère.

Raphael Riljk