lundi 20 décembre 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Les légendes alsaciennes vues par Albert Robida…


Je reçois ce matin, à la librairie, un colis envoyé par ma petite soeur (même les grands hommes ont une sœur, figurez-vous…). Le paquet était recouvert par un papier kraft qui fut déchiré impatiemment. Nous sommes à Noël et je devine déjà le contenu de l'envoi… Pas de belle reliure ni d'édition luxueuse pour cette fois mais une boite peinte qui sert d'écrin aux trésors qui y sont rangés : Des Spritz à la noix de coco ! Des butter bredele ! Des petits croissants à la vanille, quelques meringues, du pain d'épice, de la tarte de linz et des bretzels sucrés qui sont sa spécialité !


Ma sœur a épousé un strasbourgeois il y a quelques années et prépare, depuis, de façon traditionnelle quelques desserts alsaciens qu'elle envoie à ses proches au moment des fêtes de Noël. Elle me sait à Tarascon en début de semaine et préfère que je les reçoive ici plutôt qu'à l'Institut de France où la bande de vieillards fossiles qui me servent de compagnons de fauteuil n'hésiterait pas à se jeter sur ces délicieuses friandises sans le moindre scrupule ni le moindre esprit de partage. Elle a recouvert les gâteaux d'une feuille pliée en quatre. Elle sait que j'aime les légendes d'Alsace, m'en a envoyé une, et je commence à lire le billet en grignotant un de ses succulents bretzels :


La Noël des petits oiseaux.

Un soir de Noël, il faisait si, si froid, en Alsace que tous les petits oiseaux du Sundgau et du Nordgau se rassemblèrent dans la vallée du Tannenberg, espérant se chauffer en se serrant les uns contre les autres. Et ils pépiaient lamentablement, ayant aussi faim que froid, et sûrement ils allaient tous mourir, quand, venant de l'office sur sa blanche haquenée, parut la noble dame que Frédéric de Linange loua en ses harmonieuses chansons… Comme elle était aussi bonne que belle, la détresse des chantres ailés l'attrista profondément et, vite, elle envoya ses gens chercher toutes les miches de pain et tous les sacs de blé qu'ils purent trouver dans le voisinage, afin d'offrir à ses petits amis un festin digne de Noël.


Lorsqu'ils furent repus, ils remercièrent en chœur la dame tant aimée en lui chantant un hymne de nativité si doux, si beau, que tous ceux qui l'entendirent se mirent à pleurer, à joindre les mains et tombèrent à genoux dans la neige, alors qu'au dessus du couchant rose, ils virent un chœur d'anges accompagner, sur la viole et le rebec, la chanson des petits oiseaux. Très émue d'un tel hommage, la protectrice des chantres ailés institua pour eux cette fête qui est encore pratiquée dans les villages les plus reculés d'Alsace, aujourd'hui. La veille de Noël, chacun rentre dans sa maison, laissant la rue aux enfants. Emmitouflés au possible et riant tout le bonheur possible, ils forment alors une longue procession qui pêle-mêle, se met en branle et un joyeux pépiement commence.


Devant chaque porte de maison, c'est le même " Gän ietz us ! Gän ietz us !". La porte s'ouvre alors largement, parfois la fenêtre. Les mères sont là, les aïeules et les cousins aussi. Tout le monde donne aux mioches quelques épis de blé, des noix ou des noisettes, des pommes ou des bonbons mais surtout des bretzels sucrés. Aussitôt, les marmots se précipitent pour ramasser et croquer ces délicieuses friandises pendant que les plus grands commencent déjà à façonner une gerbe élégante avec les épis de blé. Le cortège se dirige ensuite vers l'église où le sacristain attend pour faire sonner les cloches de Noël avant la veillée… Cette tradition se retrouve aujourd'hui dans d'autres provinces où une gerbe de blé accueille quelquefois le visiteur, à l'entrée de la maison. N'en avez-vous jamais vu près de chez vous ? Vous saurez maintenant que la tradition vient du beau pays d'Alsace…


Des esprits chagrins insinuent que cette tradition n'est plus respectée depuis plus d'un siècle en Alsace ; que les enfants passent la veille de Noël dans les galeries marchandes des hypermarchés ; qu'ils se goinfrent de barres chocolatées payées avec l'argent des grands-parents et qu'ils en ont rien à foutre des zozieaux… Je n'en crois rien !


J'ai remarqué un livre, sur les rayonnages de la librairie de Pierre, qui devrait peut-être vous parler de cette tradition et de bien d'autres légendes qu'on raconte encore aujourd'hui, aux enfants alsaciens. Il est magnifiquement illustré par Albert Robida (1848 / 1926) et devrait intéresser les bibliophiles amateurs de cartonnages polychromes. Je vous en ai fait quelques photographies. Le premier plat est orné d'une illustration du château le Saint Ulrich situé à Ribeauvillé, me précise un lecteur. Avec un peu de chance, si vous le commandez rapidement, vous l'aurez pour Noël ! Votre dévoué. Philippe Gandillet.


GEVIN-CASSAL O. Légendes d'Alsace. Paris, Boivin éditeur. 1917. Edition originale. In-4 Carré. Reliure cartonnage éditeur polychrome représentant le haut-koenisgberg derrière un passage de cigognes. Titre en lettres dorées. Dos lisse orné. Composition de Schmitt et reliure de Engel. Nombreuses illustrations en noir et blanc dans le texte de Albert Robida. 296pp + catalogue. Très bel état de conservation, cahiers solidaires. Vendu

3 commentaires:

Textor a dit…

Merci Maitre, pour ce beau conte.

Ce sont donc les alsaciens qui ont inventé Halloween et pas les yankees ; je m’en doutais !

T

Anonyme a dit…

Enfants, nous sculptions des oranges à la place des citrouilles et nous déposions, à l'intérieur, une petite bougie qui renvoyait des éclats parfumés de lumière... Ph Gandillet

Pierre a dit…

Tout ça ne vaut pas un bon vin chaud à la cannelle tout de même ;-))

Si j'en crois le programme des émissions télévisées aujourd'hui, j'ai l'impression que le spectateur, s'il n'est plus intéressé par les légendes, croit encore aux contes de fées... Pierre