vendredi 5 février 2010

Une reliure d'exception de l'atelier d'Antoine Ruette.


Il s'agit d'une reliure que l'on pourrait qualifier de monogrammée. Un terme plus classique existe sûrement. Rappelons la définition du monogramme. C'est un emblème qui réunit plusieurs lettres en un seul dessin, avec ou sans ornements supplémentaires. On le trouvait en priorité sur le linge de maison des familles aisées. Comme tout emblème, il représente une personne, une entité ou un groupe. Il peut aussi servir à signer, à marquer un sceau, des meubles ou tout autre objet appartenant au propriétaire du monogramme. Le livre en est un exemple. Le monogramme est souvent appelé "chiffre" lorsqu'il se résume à ses initiales. Dans le cas présent, le monogramme "L" du roi et la couronne couverte qui est l'emblème de la maison royale sont associés, c'est pourquoi le terme de "monogramme" me semble plus justifié.


Il est cerné par des fleurs de Lys, qui sont devenues à partir du Moyen Âge (d'or sur champ d'azur) l'emblème de la royauté française. Ces "petits fers" ont été apposés de façon régulière sur les deux plats ainsi que sur le dos de l'ouvrage de manière à en faire un semis très élégant. L'appartenance, dans ce cas, est toutefois un peu trop marquée. Le semis de monogrammes et de fleurs de lys est bordé sur les plats par un triple filet doré et sur le dos par un double filet.
Rien dans tout cela que de très exceptionnel !


Passons au texte. Les plus blasés se désespéreront de trouver un "Office de la Semaine Sainte" qui est le best-seller de l'époque. Il faut se rappeler que Louis XIV, s'il pouvait se targuer d'affirmer "L'état, c'est moi !", aurait pu aussi revendiquer son catholicisme à travers l'expression " Dieu, c'est moi !". Dans le domaine religieux comme dans les autres, il visa à contrôler l'ensemble de ses sujets. C'est ainsi qu'il en arrivera vingt ans plus tard à la révocation de "L'édit de Nantes". Donc pour l'heure, il est représenté sur le frontispice priant à côté de Jésus, frontispice gravé en taille-douce, non signé, représentant Louis XIV enfant à genoux devant la Sainte Vierge et le Christ, à qui il offre la couronne et le sceptre. A noter que sur le frontispice on voit, juxtaposées, les armes de Marie-Thérèse d’Autriche et celles de louis XIV.


Cet office qui est en latin a cet avantage que les rites qui accompagnent les textes y sont mentionnés en français ce qui permet de mieux suivre la messe pour les non initiés.
La typographie est très belle, l'impression est en deux couleurs sur un texte réglé. Deux autres gravures hors texte sont présentes au coeur de l'ouvrage. Les titres des chapitres sont en français. Une personne bienveillante a mis du scotch sur une déchirure du frontispice. C'est désolant mais cet événement fait maintenant partie intégrante du passé de l'ouvrage. En faisant une recherche ADN sur le papier adhésif, on pourrait même connaître le propriétaire qui a fait ça et qualifier l'outrage " d'Ex-libris"… Les tranches sont dorées, le bord des plats présente une belle roulette dorée, les coins et les coiffes n'ont pas souffert d'une manipulation maladroite.


L’OFFICE DE LA SEMAINE SAINCTE Corrigé de nouveau par le commandement du Roy, conformement au breviaire et missel de nostre S.P. le Pape Urbain VIII. Édition publiée et reliée par Antoine Ruette. Imprimée en rouge et noir, avec grandes lettrines imprimées en rouge. L’exemplaire, entièrement réglé, s’ouvre sur un frontispice gravé et comprend une deux gravures sur cuivre à pleine page (cène et résurrection de Pâques).

Fils de Macé Ruette, Antoine Ruette fut nommé « relieur ordinaire du roi» à la mort de son père en 1644. En tant qu’éditeur, il publia trois Offices de la Semaine Sainte: en 1644, 1659 puis en 1661, notre édition. L’atelier de reliure se fit une spécialité de couvrir en nombre les productions de l’imprimerie, entrant ainsi en concurrence directe avec les diverses Semaines Saintes reliées dans d'autres ateliers ( Macé, Antoine Michel Padeloup).

Cet exemplaire est sans doute exceptionnel. La dorure et le décor, d’une grande finesse de travail et d’exécution, sont encore réalisés aux petits fers, comme toute la production de Ruette. Vendu. Pierre

2 commentaires:

Pierre a dit…

Antoine Ruette a fait le bonheur d'un connaisseur... Une négociation courtoise a permis aux deux parties d'être satisfaites. Le bon prix pour le bon acheteur, voilà la devise qu'un libraire se doit d'avoir toujours en tête. Je pense déjà aux prochains livres que je vais vous proposer. Pierre

Pierre a dit…

Je voudrais souhaiter la bienvenue à Jean-Louis sur ce blogue.

Afin de me faire connaitre et de partager ma passion pour le livre ancien, j'ai envoyé dernièrement un courriel de présentation à certains de mes anciens fournisseurs (vétérinaires). Et comme j'ai perdu toute forme de pudeur avec l'âge, j'ai envoyé celui-ci plutôt au Bon-Dieu qu'à ses sains...

Jean-Louis a eu la gentillesse de me répondre personnellement et de regarder le blogue qui allait avec ! Un petit mot de compliment et une inscription en tant que membre.

Ma fierté de la journée ! Pierre